L’émotion engendrée par les morts du Covid-19 n’élude pas la question de la nature du genre de mort. Est-ce une mort assimilable ou pas à une maladie professionnelle ? En effet, selon que la mort est occasionnée par une cause professionnelle ou du fait de l’exercice de ses fonctions, les ayant droits n’ont pas les mêmes avantages que si la mort n’a aucun lien avec le service. Lorsqu’il s’agit d’une mort pour cause professionnelle, le capital-décès est quintuplé. La question qui nous préoccupe est alors de savoir : Comment qualifier la cause des morts du Covid-19 ? Cette question nous semble pertinente en l’absence d’un texte particulier du ministère en charge du travail ou du ministère de la santé qui permette de la classer ou non dans la catégorie des morts à la suite d’un accident de nature professionnelle. Pour répondre à cette question, il convient de savoir au préalable comment la question des droits liés à la mort est traitée dans la réglementation camerounaise avant de présenter les enjeux (l’urgence) de spécifier la nature des morts du Covid-19 dont l’incidence sur les acquis des ayant droits n’est pas neutre.
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La mort dans la réglementation camerounaise
La référence aux décès liés au travail convoque très souvent des métiers physiques. L’Organisation Internationale du Travail reconnaît alors que les métiers qui enregistrent le plus de décès liés à l’activité professionnelle se retrouvent dans les domaines de l’agriculture, de la construction, des mines. Il existe alors des accidents du travail, des accidents sur le lieu du travail, des accidents liés au travail. Pour ce dernier cas, il s’agit de tout accident qui intervient, avec pour cause lointaine, indirecte mais néanmoins majeure, l’exercice des fonctions, et qui entraîne la mort du travailleur. C’est cette dernière catégorie que nous convoquons en ce qui concerne le coronavirus. La mort du fait du coronavirus peut dans certaines circonstances être considérée comme mort d’un accident pour cause professionnelle.
Dans le Code du travail, la notion d’accident pour cause professionnelle n’est pas assez développée, ni détaillée. Toutefois, il existe une liste et tableaux officiels des maladies professionnelles indemnisables au Cameroun. À l’analyse de ces tableaux, aucun ne semble adressée la question du coronavirus de manière expresse. Et c’est normal, il s’agit d’une nouvelle pathologie. Toutefois, une assimilation peut être faite avec les Infections d’origine professionnelle par les virus des hépatites A, B, C, D et E (tableau 47 des maladies professionnelles au Cameroun). Avouons qu’il s’agit d’une simple assimilation qui ne saurait justifier d’un droit.
Concernant le Statut Général de la Fonction Publique, le décret n°2000/692/PM du 13 septembre 2000 fixant les modalités d’exercice du droit à la santé du fonctionnaire, considère comme maladie professionnelle, toute maladie résultant de la nature ou des conditions d’exercice de ses fonctions, ainsi que les maladies pour lesquelles le conseil de santé aura statué dans ce sens. Il s’agit notamment :
- des manifestations morbides d’intoxication aiguë ou chronique des infections microbiennes présentées par les fonctionnaires exposés à des risques de contamination ;
- des affections présumées résulter de conditions ou d’attitudes particulières de service ;
- Des infections microbiennes ou affections parasitaires susceptibles d’être contractées à l’occasion de l’exercice des fonctions dans les zones déclarées officiellement comme infectées.
Les organisations sont entre autres : les hôpitaux, les laboratoires, les établissements de transfusion sanguine, les hôtels, les restaurants, les crèches, les entreprises de gestion des déchets, les pompiers et services de secours, les ambulanciers, les services de soins funéraires et morgue.
Au regard de ce qui précède, il convient d’apprécier comment les morts du Covid-19 peuvent être qualifiés.
2. Qualification des morts de Covid-19
Le Covid-19 est-il une maladie professionnelle ? Cette question peut paraître simple dans certaines circonstances et complexes dans d’autres cas. Prenons le cas des personnels de la santé déclarés infectés du fait de la prise en charge des malades du Covid-19 et qui décèdent par la suite. Dans ce cas, la qualification de mort pour cause professionnelle ne souffre d’aucun doute. Pour les autres cas de contagion, il peut être difficile d’identifier l’origine exacte ou du lieu de contamination. La contagion peut avoir lieu en milieu de travail, lors de l’exercice de ses fonctions ou dans la communauté lors des activités purement sociales sans lien avec les activités professionnelles. Dans de nombreux cas, des obstacles s’opposent à la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle.
Toutefois, tenant compte du mode de contagion du coronavirus, de sa nature et de ses manifestations, on pourrait l’assimiler à une infection microbienne ou affection parasitaire susceptibles d’être contractées à l’occasion de l’exercice des fonctions dans les zones déclarées officiellement infectées. De même, on pourrait convoquer le tableau 47 des maladies professionnelles (code du travail) pour convoquer la maladie virale de la famille des virus au même titre que l’Hépatite qui y est visée. Si cette qualification est admise, les ayant droits bénéficient de la pension de réversion quintuplée. En l’absence d’un texte express validant cette perspective, le conseil de santé devra statuer et se prononcer sur la qualification ou non de la mort (Covid-19) de suite d’une maladie professionnelle.
En France, le 3 avril 2020, dans un communiqué de presse, l’Académie Française recommande que les professionnels de santé, les professionnels en activité quotidienne d’accueil ou de guichet, les professionnels de la sûreté et de la sécurité, et les personnels travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays (alimentation, transports en commun, sécurité…) bénéficient des avantages et des dispositions liés à la maladie professionnelle, en cas de contamination ou de mort. Cependant, la loi française, reconnait comme maladie professionnelle les maladies faisant partie du tableau des maladies professionnelles. Le Covid-19, n’y apparaissant pas encore, le cas de mort de maladie professionnelle ne peut être reconnu que par le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Ce qui suppose qu’il faudrait établir que la maladie ait été contractée dans l’exercice des fonctions.
Le coronavirus est une nouvelle pathologie qui induira sans doute des modifications organisationnelle, structurelles et légales en ce qui concerne le droit du travail. Savoir comment sera qualifié l’arrêt maladie d’une personne malade du Covid-19 est une préoccupation pour tous les employés. En dehors du personnel soignant, pour qui c’est assez évident, d’autres corps de métiers sont hautement exposés au virus (les techniciens de surface, les agents funèbres, les agents commerciaux etc.), mais n’ont de certitudes quant à leur prise en charge, car la difficulté est de prouver que la maladie a un lien direct ou indirect avec l’exercice de ses fonctions.
La pandémie du coronavirus donne l’opportunité de corriger certaines vulnérabilités et de mieux établir les priorités. Concernant les vulnérabilités, à défaut d’ajouter le coronavirus comme maladie professionnelles et indiquer les métiers concernés, il convient de retenir une rubrique générique faisant référence aux maladies virales. En ce qui concerne les priorités organisationnelles, la santé en est désormais une. Deux conséquences en découlent au plan organisationnel. La première concerne la position stratégique de la structure qui adresse les questions de santé et sécurité au travail : Va-t-on passer d’un service de l’action sociale (qui adresse les questions de santé dans les administrations publiques) à une direction de l’action sociale ? Les activités y relatives pour la plupart essentiellement opérationnelles devront-elles désormais revêtir des ambitions stratégiques et anticipatives avec des budgets conséquents ? La deuxième conséquence est de savoir s’il faut considérer que tous les métiers sont exposés aux pandémies virales et en faire des maladies professionnelles au regard de leur mode de contagion. Cette dernière option pourrait avoir une incidence financière insupportable par les entreprises même si elle a un caractère juste. Certes la pandémie est un cas de force majeure qui doit être traitée comme telle, mais les leçons qu’elle nous impose méritent qu’on s’y attarde pour construire la résilience de nos organisations. Il n’est donc pas impertinent de penser à ces évolutions.
Cet article a été écrit et publié en premier par le Pr Viviane Ondoua BIWOLE
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